La SM et les 24 heures du Mans 1972

par B. Harel

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Dès sa sortie en 1970 beaucoup s’accordaient à penser que la SM disposait d’un incontestable potentiel sportif. Mais alors qu’on l’imaginait plutôt sur des circuits rapides, ce sont les pistes caillouteuses et coupées d’oueds du rallye du Maroc qui, fin avril 1971, lui firent rencontrer son premier succès. Victoire épique d’ailleurs, largement célébrée un peu plus tard par le film «Première sortie, première victoire».

Quelques mois après, en septembre 1971, une Citroën SM participait pour la première fois à une grande course d’endurance : Les 24 heures de Spa Francorchamps. La voiture semblait assez bien adaptée à ce type d’épreuve, pourtant à la 7ème heure une casse moteur mettait prématurément fin à la tentative.

C’est dans ce contexte, partagé entre le succès du Maroc et l’échec de Spa Francorchamps, que Guy Verrier entreprit d’engager une SM aux 24 heures du Mans. Il avait pour cela obtenu le soutien de Total, mais le service compétition de Citroën voyait d’un mauvais oeil une tentative estimée trop aventureuse. Le Mans est une épreuve mythique, un échec risquait de devenir trop préjudiciable à l’image de la voiture. Passant outre à cette opinion défavorable Guy Verrier réussit à obtenir l’accord de la direction générale et le prêt d’une SM pour participer à la course. Informé, le service compétition de la firme s’opposa alors plus fermement, et finalement, sous la pression de celui-ci, la direction revint sur sa décision.
Guy Verrier décida de poursuivre, et, soutenu cette fois par Yacco, il acheta une SM qui fut inscrite en catégorie «Tourisme Spéciale» aux 24 heures du Mans 1972 par L’AGACI, association dont il était le président. Peu de temps après, la revue « l’Automobile » publiait dans son numéro d’avril 1972 une liste des voitures «invitées» au Mans. Curieusement 2 SM étaient annoncées, l’une inscrite par l’AGACI, l’autre par Claude Laurent. Ce dernier participera bien aux 24 heures en juin de la même année, mais au volant de la Ligier JS2 n°56 qu’il avait personnellement engagée. A t’il eu lui aussi l’intention de faire courir une SM au Mans ? Si la liste publiée est exacte, il n’en est pas moins vrai que ce projet fut rapidement abandonné.
En tous cas Guy Verrier tint bon, et une seule voiture, celle de L’AGACI, participa aux essais qualificatifs des 7 et 8 juin 1972. Trente cinq ans plus tard il est bien difficile de savoir quelles étaient les caractéristiques exactes de cette SM. A part une modification au niveau des phares, la pose d’un arceau de sécurité, un allègement plus que modéré, elle était vraisemblablement très proche de la série.
Concernant sa motorisation, les écrits postérieurs à 1972, pourtant peu nombreux, donnent des informations divergentes. Il est parfois fait état d’un moteur de 2938 cm3 préparé chez Ligier, parfois d’un moteur de série de 170 CV, réservé aux essais, qui devait être remplacé pour la course par un moteur de 280 CV préparé à Modène. Par contre, si l’on se réfère à la presse d’époque, cette SM était tout simplement équipée du V6 Maserati de série de 2670 cm3 délivrant, selon les sources, de 180 à 200 CV. Quant à la fiche technique actuellement archivée par l’Automobile Club de l’Ouest, elle indique, contrairement aux informations précédentes, un moteur V6 Maserati de 2991 cm3, cylindrée strictement identique (selon les fiches A.C.O) à celle du V6 Maserati des 3 Ligier JS2 qui prirent le départ cette année-là. La puissance développée par ce moteur, s’il équipait vraiment la SM, reste cependant non précisée.
Quoi qu’il en soit, les 1380 kilos enregistrés au pesage du Mans, juste avant les essais, laissaient peu de chances à la SM de se qualifier face à ses rivales les plus directes dans la catégorie : essentiellement des Ford Capri. De toute évidence plus puissantes, celles-ci étaient bardées d’éléments de carrosserie en polyester et de vitrages en polycarbonate. Leurs poids s’échelonnaient de 917 à 1048 kilos. Soit, pour la plus lourde, 332 kilos de moins que la SM….
Sur les 66 voitures engagées aux essais qualificatifs 59 seulement furent retenues pour participer à la course. Parmi celles-ci 4 ne prirent pas le départ. La SM, qui arborait pourtant un numéro 55 de bon augure, ne réalisa que le ­­66ème temps et ne fut pas qualifiée. Pilotée par Guy Verrier elle boucla son meilleur tour à la moyenne de 157,789 km/h (5 mn11 sec 2/10).
Pour comparaison, la Ligier de Claude Laurent engagée en catégorie « Sport » et équipée, si l’en en croit L’ACO, d’un moteur identique à celui de la SM dont on peut supposer qu’il était au minimum aussi puissant, réalisa le 61ème temps des essais à la moyenne de 169,383 km/h. Elle ne pesait pourtant que 884 kilos, face auxquels les 1380 kilos de la SM rendent la performance de Guy Verrier proche de l’exploit.
La voiture la moins rapide des essais qui participa à la course (par repêchage in extremis), la Dino 246 GT n° 46, avait réalisé le 62ème temps et la moyenne de 167,134 km/h. L’évidence s’impose, un peu moins de 10 km/h manquèrent à la Citroën SM pour accéder au départ des 24 heures du Mans 1972.
Malgré cet échec relativement pré-visible, le résultat reste tout de même remarquable au vu de la concurrence pour une voiture assez peu préparée à ce qu’il semble. Dotée d’un excellent Cx, particulièrement appréciable sur les Hunaudières, d’une tenue de route et d’un équilibre hors du commun, la SM avait des atouts. Parmi eux son agrément de conduite n’était sans doute pas le moindre pour une épreuve au long cours comme celle du Mans. Elle souffrit visiblement, et pour l’essentiel, d’un rapport poids-puissance beaucoup trop défavorable.
Le deuxième pilote prévu pour la course était Gérard Foucault. La maigre littérature consacrée à cette aventure évoque parfois le nom d’un certain Monate, mais ce patronyme ne figure pas sur la fiche de l’A.C.O.

A l’issue des essais un commentateur regretta que Guy Verrier n’ait pas pu profiter de la pluie pour qualifier la voiture…. C’était peut-être la bonne solution, mais mettre la météo de son côté n’est pas toujours facile. Par contre réduire le poids de la voiture, c’était possible. Et la face du monde en eut peut-être été changée !

Enfin, celle du monde Citroëniste, car jusque là une seule Citroën avait tenté sa chance au Mans. C’était, à quelques jours près, 40 ans plus tôt. Le 18 juin 1932 la Citroën N°19 de Henri de la Sayette et Charles Wolf prenait la piste pour 24 heures. Son moteur de 1539 cm3 (certainement suralimenté) lui avait permis d’obtenir le 13ème temps des qualifications sur 32 concurrents. Après seulement 40, 476 kilomètres parcourus le support de magnéto lâchait et provoquait l’abandon définitif. La course avait duré moins d’une heure.

Citroën et le Mans, une histoire trop courte que beaucoup d’amateurs de Citroën sportives auraient bien aimé voir prolongée. Merci à Guy Verrier d’avoir au moins essayé.

(Sources: Citroscopie, L'Automobile-Sport Mécanique, Sport Auto, Automobile Club de l’Ouest)


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